Elle a coupé mon tout petit bout

Article : Elle a coupé mon tout petit bout
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5 juin 2024

Elle a coupé mon tout petit bout

Au cœur d’une lutte séculaire pour le respect des droits des filles et des femmes, l’interdiction de l’excision émerge comme un symbole puissant de progrès et de changement. Cette pratique douloureuse héritée de traditions anciennes est finalement confrontée à la lumière crue de la modernité et de l’humanité.

Dans le contexte de cette lutte, l’excision qui a longtemps été ancrée dans certaines cultures et traditions, est de plus en plus remise en question. Cette pratique qui implique l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes féminins, est non seulement douloureuse, mais aussi dangereuse, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour la santé physique et mentale des filles et des femmes.

L’interdiction de l’excision est un pas important vers le respect des droits humains. Elle symbolise un rejet des normes culturelles oppressives et une affirmation du droit fondamental de chaque femme à l’intégrité physique et à la dignité.

Aminata

Le ciel était sombre et menaçant, préfigurant une journée difficile pour moi. Aucune lueur de soleil ne perçait cette masse uniforme et sombre. Comme si le monde entier s’était vêtu de noir pour l’occasion. Les nuages s’amoncelaient, lourds et imposants, comme une couverture étouffante. L’atmosphère était lourde, chargée d’une tension palpable, presque électrique. C’était comme si l’air lui-même portait le poids de la tristesse et de la fatigue accumulée au fil des siècles. Une mélancolie ancienne enveloppant chaque recoin du village.

« Aminata, viens ici ! Aujourd’hui, tu vas devenir une femme. Mariam SAYA, l’exciseuse est là. »

À l’entente de cette phrase, mon cœur a commencé à battre la chamade. Sa cadence saccadée résonnant dans mes oreilles comme les tambours d’une procession funèbre. Ma respiration devenait rapide et superficielle, comme si l’air se faisait rare. Chaque inspiration me coûtant davantage. La peur commençait à paralyser chaque fibre de mon être. Ses tentacules froids s’enroulant autour de mon esprit. Un profond désespoir s’installait en moi, sachant que je ne pourrais rien faire pour échapper à ce qui m’attendait aujourd’hui, ni à ce qui me hanterait demain.

Ce jour-là, cet après-midi de deuil, j’avais 10 ans. Innocente de la tête aux pieds, je pensais que même une mouche aurait eu du mal à me faire du mal. Chaque trait de mon visage clamait et déclamait l’innocence, cette pureté que seule l’enfance peut porter. Mes yeux grands ouverts, reflétant la naïveté et la curiosité, mes joues encore rondes de l’insouciance enfantine. Tout en moi respirait la jeunesse et la candeur.

Près de cette rivière, miroir de notre innocence, j’étais en compagnie d’autres enfants de mon âge. Le reflet de l’eau semblait capturer la légèreté de nos rires et de nos jeux. Des éclats de bonheur pur dans un monde qui se préparait à me trahir. Les poissons nageaient en contrebas, insouciants. Tandis que nous éclaboussions gaiement. Je me suis retournée vers mes amies, un sourire timide éclairant mon visage avant de courir vers ma mère. Mon cœur se serrait à l’idée de quitter ce havre de paix pour affronter l’inconnu, une inconnue qui portait un masque de tradition et de douleur.

À première vue, ma mère paraissait aussi triste que moi. Son visage, habituellement chaleureux et serein était désormais marqué par une gravité déconcertante. Ses yeux, habituellement vifs et rieurs, étaient voilés par une tristesse profonde, un chagrin qu’elle portait comme un fardeau. Elle m’a pris par la main sans un mot de plus. Son silence pesant autant que le ciel au-dessus de nous.

La hutte

Nous avons marché ensemble en silence jusqu’à une petite hutte à l’écart du village. Un lieu mystérieux. Jamais exploré par mes jeunes pieds, une zone interdite qui aujourd’hui m’ouvrait ses portes funestes.

Crédit : Iwaria

L’endroit était calme, presque oppressant, et froid comme un matin d’hiver. À l’intérieur, l’obscurité régnait, accompagnée d’une odeur âcre de plantes médicinales. Une senteur étrange qui semblait promettre à la fois soin et douleur. Des dessins de lames, de ciseaux et de machettes ornaient les murs, leurs formes sinistres se découpant dans la pénombre. Ces illustrations, faites de mains maladroites, ajoutaient une touche de grotesque à l’horreur ambiante. Des nattes en paille étaient disposées en cercle, leur simplicité contrastant avec la terreur qu’elles inspiraient. Formant une arène de souffrance où chaque fil de paille semblait murmurer des histoires de douleur passée.

Au centre de ce petit enfer paradisiaque, une vieille femme aux traits sévères nous attendait.

Mariam SAYA, l’exciseuse, portait un long pagne rouge, symbole de la douleur à venir. Ses yeux perçants semblaient sonder les profondeurs de mon âme, impitoyables et résolus. Dans ses mains, un couteau émoussé en acier scintillait faiblement, sa vue suffisant à glacer mon sang. La lame, bien qu’usée par le temps, portait encore les traces de ses sinistres œuvres. Un outil de destruction enveloppé dans un éclat métallique.

Je me sentais piégée. Comme un oiseau dans une cage dorée, incapable de s’échapper. Les murs semblaient se refermer sur moi, et l’air devenait de plus en plus difficile à respirer. Mon cœur battait furieusement. La main de ma mère, serrée autour de la mienne, était à la fois un ancrage et un rappel de l’inévitable.

Elle ne disait rien, mais sa poigne était ferme. Une promesse muette de soutien malgré l’horreur de l’instant.

Chaque pas résonnait lourdement dans cette petite hutte, les murmures étouffés des autres femmes à l’extérieur, une litanie de résignation et de souffrance. Le sol en terre battue semblait absorber les larmes et les cris des filles qui étaient passées avant moi. Un témoin muet de la barbarie travestie en tradition.

Alors que je m’asseyais sur la natte, les regards des autres enfants et des femmes me pesaient. Chacune d’entre elles portait en elle une cicatrice, une marque invisible mais indélébile de ce rite cruel. Je savais que bientôt, je serais l’une d’entre elles, portant ma propre cicatrice, une mémoire douloureuse gravée dans ma chair et mon esprit.

Ma mère m’avait poussée doucement et tristement vers le centre de cette pièce. De la pièce en plein milieu de l’enfer. Elle m’a poussée vers la mort, moi, sa fille chérie. Ses mains tremblaient légèrement, et ses yeux brillaient de larmes retenues, mais elle n’avait pas le choix. La tradition la forçait à m’offrir à cette épreuve cruelle.

Fausses promesses

Mariam SAYA s’approcha de moi. Malgré la peur qui m’étreignait, je la trouvais magnifiquement belle, cette dame qui était l’intermédiaire entre l’enfer et moi. Son visage, bien que sévère, était marqué par la sagesse et une étrange douceur.

Visage timide, ses yeux cherchaient les miens. Elle semblait chercher à capter un lien, une compréhension mutuelle de ce qui allait se passer.

« Aminata, dit-elle d’une voix timide. Aujourd’hui, tu vas devenir une femme. Une femme exceptionnelle. Je sais que tu ressens une peur, et je ne peux te promettre que la douleur sera brève. Ce que je fais aujourd’hui, je le fais parce que c’est la tradition de nos ancêtres. »

Elle marqua une pause, ses yeux se plongeant dans les miens avec une intensité qui me glaça le sang.

« Nos ancêtres ont décidé qu’à un moment donné, ce petit bout qui nous appartient entièrement doit être coupé. Tu sais, ma fille, notre vie en tant que femmes n’est que souffrance et sacrifice. Notre refus de nous prononcer sur les peines que nous endurons ne veut point dire que nous les acceptions. Cette souffrance perpétuelle que tu vas subir aujourd’hui est la première d’une longue série de souffrances, d’épreuves. Un cocktail de peines auxquelles tu feras face. »

Sa voix se fit plus douce, presque réconfortante, mais les mots qu’elle prononçait étaient comme des lames tranchantes.

« En devenant femme, tu apprendras à supporter les souffrances physiques mais aussi celles du cœur. Des douleurs que le système oppressant pourrait nous éviter au nom de l’humanité que nous partageons tous. Des cicatrices qui ne s’effacent jamais malgré le temps qui s’écoule. Nous portons en nous la force de nos mères et de nos grands-mères qui ont traversé cette même épreuve. »

Elle s’arrêta un instant, comme pour mesurer l’impact de ses paroles, puis continua avec une ferveur renouvelée.

« Notre vie aurait été moins difficile si notre capacité à décider nous-mêmes de notre corps n’était pas mise en doute. Ce petit bout de toi que je vais couper représente une partie de toi que nos ancêtres ont décidé de faire disparaître sans ton consentement. Pourtant, ce petit bout fait intégrante partie de toi et de ton histoire en tant qu’être humain. Avec ce petit bout, vous êtes nés ensemble, vous avez grandi ensemble, et vous vous êtes vus grandir ensemble. »

Elle prit une profonde inspiration, et ses yeux semblaient soudainement plus vieux, plus fatigués, comme si elles portaient le poids de toutes les générations de femmes avant elle.

« Cette douleur te rappellera que la douleur est femme. Et que tu es destinée à supporter et à survivre. Tu sais, ma fille, les vraies femmes, celles qu’on considère, ne parlent jamais même lorsqu’elles se sentent oppressées. Elles sont infantilisées toute leur vie. Celles qu’on épouse, ce sont celles à qui l’on a coupé le petit bout. »

Ses mots étaient amers, teintés d’une résignation que je ne pouvais comprendre pleinement à mon jeune âge.

« Tu es plus forte que tu ne le penses. Que les esprits bienveillants de nos ancêtres te donnent la force de supporter cette souffrance qu’ils t’ont eux-mêmes fait vivre. »

Elle déposa une main légère sur mon épaule, comme pour me transmettre un fragment de sa propre force. Je pouvais sentir la chaleur de sa paume, une chaleur rassurante mais aussi désespérément triste. Dans son regard, je lisais une sorte de prière silencieuse, une demande de pardon pour ce qu’elle allait faire. Sa main se fit plus ferme, une ancre dans la tempête qui m’attendait.

« Souviens-toi, Aminata, chaque femme ici a traversé cette épreuve. Nous sommes toutes reliées par cette douleur, et c’est dans cette souffrance partagée que nous trouvons notre force commune. Nous ne sommes jamais seules, même dans les moments les plus sombres. »

Elle fit un signe à ma mère, qui s’approcha pour me tenir la main. Les larmes que ma mère avait tenté de retenir commencèrent à couler silencieusement, ses épaules secouées de sanglots muets. C’était la première fois que je la voyais pleurer, et cette vision me brisa le cœur. La main de ma mère était ferme, mais tremblante, une contradiction entre la force et la vulnérabilité.

Mariam SAYA se tourna alors vers l’autel, où reposaient les instruments de son office. Chaque outil semblait chargé d’une histoire, d’une mémoire de douleur et de résilience. Elle prit le couteau, le manipula avec une délicatesse étonnante, comme si elle manipulait un objet sacré. Ses gestes étaient précis, méthodiques, empreints d’une pratique qui, bien que terrifiante, dénotait une sorte de respect pour le rituel.

Elle revint vers moi, le couteau à la main, et s’agenouilla à ma hauteur. Ses yeux, de nouveau plongés dans les miens, étaient emplis d’une compassion étrange.

« Respire profondément, ma fille. Concentre-toi sur ta respiration, et laisse les esprits de nos ancêtres te guider. Cette épreuve, bien que cruelle, fait de toi une part indélébile de notre histoire, une gardienne des traditions et des souffrances qui ont façonné notre peuple. »

Sa voix était douce, presque apaisante, une berceuse amère dans cette pièce de terreur. Mes larmes coulaient silencieusement, mon cœur battait furieusement dans ma poitrine, chaque pulsation un rappel cruel de l’horreur imminente. Pourtant, dans le regard de Mariam Saya, je voyais une étrange forme de réconfort, une promesse d’appartenance et de solidarité dans la souffrance.

Alors que la lame s’approchait, le monde sembla se rétrécir autour de moi. Le souffle de ma mère, la présence imposante de Mariam Saya, les murmures des femmes à l’extérieur, tout se fondait en un tourbillon de sons et de sensations. Mon esprit se cramponna aux paroles de Mariam Saya, cherchant la force dans les promesses des ancêtres, dans la résilience silencieuse des femmes qui étaient passées avant moi.

Et ainsi, dans cette petite hutte, entourée de murs qui portaient les secrets de générations de femmes, je me préparais à affronter la première grande épreuve de ma vie. Une épreuve qui, bien que marquée par la douleur et la souffrance, me reliait à une lignée de femmes dont la force et la résilience étaient inscrites dans chaque cicatrice. Ce jour là, elle a coupé mon tout petit bout.

Crédit : Iwaria

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À lire aussi : Le journal d’un enfant des guerres

*SAYA : La mort, en langue Malinké.

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Commentaires

Sandya Sylla
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MAGNIFIQUE, quelle fierté !!

Bakounadi Coulibaly
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Je n’ai jamais autant couler des larmes en lisant🥹😭
Belle plume safi❤️

Corinne
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Un très beau texte qui donne les larmes aux yeux.

Joël kouassi
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Exceptionnel ! J'ai vraiment aimé.

Christine Tanda
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Tu nous a transmis toute cette émotion Merci Safiatou❤️

Ouattara
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À travers ces écrits, votre pseudonyme prend tout son sens🥺🥺. Un très belle plume, un vrai cocktail de styles. Merci pour ce beau texte satirique 🤲

Daouda COULIBALY
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J'espère que TOUTES les autres "Mariam SAYA" partagent cette même douleur au cœur avant leur acte. Cela pourra, avec les décisions des autorités politiques et traditionnelles, mettre fin à cette pratique dangereuse.

Au plaisir de vous relire!

Lincoln
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Un texte d’une originalité et d’une limpidité hors normes. Bien plus q’une texte, c’est un réquisitoire contre toute la tragédie d’une tradition qui se doit d’être abolie ! Le texte est extrêmement descriptif, pointu, il nous saisit par la gorge, par l’émotion et nous fait pénétrer dans la réalité et la sensibilité du personnage. Nous sommes solidaires de cette douleur même sans la vivre !

Ce texte est une œuvre originale.